Leon Moonen et la viande cultivée : une histoire de ferme innovante

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 Kweekvlees van de boerderij: Het verhaal van Leon Moonen

La viande cultivée est le gage d’une production de viande sans souffrance animale. Grâce à cette technologie, il est désormais possible de produire de la viande sans abattre d’animaux, à partir de cellules souches qui se développent au sein d’un bioréacteur. Une innovation ? Oui et non… Le procédé s’apparente beaucoup au brassage de la bière en cuve, pratiqué depuis de nombreux siècles. Les cellules se développent comme dans le corps d’un animal, mais en dehors de celui-ci. Il en résulte une viande qui offre des saveurs identiques à celles de la viande issue d’animaux abattus. Ceux qui l’ont déjà goûtée sont très enthousiastes. Mais le cercle des initiés reste pour l’instant restreint, la production étant encore très limitée. À l’heure actuelle, on peut uniquement en consommer à Singapour, en Israël et sur le continent américain, dans quelques restaurants très sélects.

Comment ça marche ? Pour fabriquer de la viande à partir de cellules souches, tout commence le plus souvent par une biopsie : un prélèvement de tissu de la taille d’une graine de sésame est réalisé au niveau de la cuisse d’une vache, sous anesthésie locale. Les cellules sélectionnées sont ensuite placées dans un bioréacteur où elles sont nourries d’acides gras, d’acides aminés, de sucres, de sels et de facteurs de croissance. Le bioréacteur se substitue ici au « corps » de la vache : les cellules s’y développent de manière identique, bien le procédé utilisé soit beaucoup plus efficace. Après environ six semaines, les cellules sont "récoltées", permettant une production de viande pouvant atteindre dix mille kilos. Le tout à partir d’un minuscule morceau de tissu... 

Le projet RESPECTfarms, soutenu par GAIA, consiste en une étude de faisabilité visant à évaluer la possibilité de convertir une ferme existante en exploitation consacrée à la production de viande cultivée.

Nous nous sommes rendus à Sint-Oedenrode, dans le Brabant-Septentrional (NL), avec Simcha Nyssen, l’expert en transition de GAIA. Nous avons interviewé Leon Moonen de « Crole Natuurrund », un agriculteur passionné qui ne considère pas la viande cultivée comme une menace, mais plutôt comme un complément d’activité et une nouvelle opportunité d’exercer son métier avec passion. 

GAIA : En chemin, nous avons remarqué que les vaches paissaient sur de vastes étendues. On est loin de l’élevage intensif.

Leon Moonen :  J’appartiens à une lignée d’agriculteurs longue de quatre générations. Mes ancêtres m’ont inculqué l’amour de la terre, de la culture et du soin des animaux. Lorsque j’ai commencé ce métier, j’ai ressenti un besoin urgent d’accélérer et d’accroître notre production. Or cette évolution a été néfaste pour l’environnement et le bien-être animal. Pendant mes études, j’ai choisi de m’orienter vers la production de viande pour la restauration. Pour mon mémoire, j’ai dû rédiger une vision d’avenir à 30 ans. C’est à ce moment-là que j’ai découvert, un peu par hasard, la viande cultivée. J’ai appris que la technique avait été développée aux Pays-Bas (Willem van Eelen, un chercheur néerlandais, a obtenu le premier brevet pour la viande cultivée en 1999. Sa fille, Ira van Eelen, en est aujourd’hui la détentrice – ndlr). Cela a immédiatement piqué ma curiosité. Par la suite, j’ai rencontré le pionnier Mark Post, fondateur de Mosa Meat. Son projet de produire de la viande à partir d’animaux vivants m’a séduit.  

 

GAIA : Un éleveur qui n’élève pas d’animaux de boucherie, cela semble contradictoire…

Leon Moonen : Pas à mes yeux. L’objectif reste la production alimentaire. Il y a quelques années encore, la stratégie consistait à élever un maximum d’animaux, avec toutes les dérives qui en découlent. L’élevage intensif est une source majeure de pollution car il émet de grandes quantités d’azote et de méthane, aggravant ainsi les problèmes climatiques. Il est également responsable d’une part importante de la déforestation. Aujourd’hui, la technologie nous permet de développer une alternative à la fois respectueuse des animaux et des équilibres naturels. 

 

GAIA : Rééquilibrer la nature, comment cela se fait-il concrètement ?

Leon Moonen : Dans notre ferme, nous mettons déjà l’accent sur la biodiversité. Nos vaches limousines paissent dans la réserve naturelle voisine. Il y a 90 ans, les agriculteurs ont planté des arbres à cet endroit-là pour protéger leurs cultures du sable. Les arbres ont drainé l’eau des étangs jusqu’à leur assèchement, entraînant la disparition des grenouilles des champs. En laissant nos animaux y paître et en modifiant la végétation, nous avons pu restaurer les étangs et faire revenir cette espèce de grenouille. Elle pond ses œufs dans les sabots des vaches qui évoluent dans les champs marécageux, parce qu’ils retiennent la chaleur. C’est une des raisons pour lesquelles je pratique l’agriculture biologique.

La demande de viande est en hausse à l’échelle mondiale, notamment en raison de l’augmentation du niveau de vie en Chine. Seul un modèle intégrant des alternatives à base de plantes et de viande cultivée sera viable. 

Leon Moonen et la viande cultivée : une histoire de ferme innovante

GAIA : Sera-t-il possible, dans un avenir proche, de remplacer entièrement la viande issue d'animaux abattus par de la viande sans abattage au niveau mondial ?

Leon Moonen : Cette option n’est pas réalisable dans l’immédiat à l’échelle mondiale. Des solutions de remplacement sont en cours d’élaboration. Dans un premier temps, elles ne constitueront qu’un complément, avant qu’ait lieu une véritable transition de la « viande de cadavre » à la viande cultivée. Au début, les offres végétales aussi n’avaient convaincu qu’un public d’irréductibles. Le changement se fera étape par étape. Si l’on y réfléchit, on se rend compte que les nouvelles technologies ont déjà remplacé les animaux dans les domaines du transport, de la communication, de l’habillement… Pourquoi ne pourrait-il en être de même pour l’alimentation ?

La réduction du nombre d’animaux d’élevage grâce à la viande cultivée n’aura que des effets positifs. Celle-ci est beaucoup moins dommageable pour l’environnement que l’élevage à grande échelle. La viande cultivée permet une réduction de l’utilisation des terres de 70 %, et une réduction de la consommation d’eau de 90 %. Surtout, elle permet d’éviter la souffrance animale.

« La viande cultivée permet une réduction de l’utilisation des terres de 70 %, et une réduction de la consommation d’eau de 90 %. Surtout, elle permet d’éviter la souffrance animale. »

Leon Moonen

GAIA : À ce jour, peu de gens ont eu l’occasion de goûter la viande cultivée. Cela ne susciterait-il pas un certain scepticisme ?

Leon Moonen : Cela va bientôt changer car à partir de décembre 2023, la dégustation de cette viande pourra se faire aux Pays-Bas. Le ministère de la Santé publique a en effet délivré un permis pour dix dégustations sur une période d’un an, ce qui permettra à environ 600 personnes de la goûter. Il s’agit plus précisément de 300 personnes travaillant pour Mosa Meat ainsi que de 300 collaborateurs de Meatable, une autre entreprise spécialisée dans la viande cultivée. Cette étape est extrêmement importante, car le public pourra constater par lui-même que la viande cultivée est en fait meilleure que la viande issue de vaches abattues.

 

GAIA : En êtes-vous vraiment convaincu ?

Leon Moonen : Oui, absolument ! Les cellules graisseuses contribuent à la saveur de la viande. Avec la viande cultivée, vous êtes en mesure de développer un spectre gustatif plus large. Bon nombre de chefs célèbres veulent figurer sur ces listes de dégustation pour anticiper le mouvement. La viande cultivée est en train de changer la donne, non seulement pour la production de viande, mais aussi pour nos papilles gustatives. Aux États-Unis, le célèbre chef cuisinier, Dominique Grenn, a fait fureur en proposant un plat incroyablement délicieux à base de poulet cultivé. Il est important que ces faits soient relayés par les médias.

 

GAIA : Vous avez évoqué Mosa Meat, qui a une approche très différente de la vôtre puisque cette entreprise se concentre sur une production de viande cultivée à grande échelle. Dans quelle mesure vos approches sont-elles complémentaires ? 

Leon Moonen : C’est un peu la même histoire avec les circuits courts. Les consommateurs et les restaurateurs manifestent un intérêt croissant pour des produits locaux. Le consortium RESPECTfarms a été formé au début de l’année, en collaboration avec Mosa Meat et d’autres acteurs comme GAIA, en vue d’étudier l’implication des agriculteurs dans l’agriculture cellulaire de demain.

Nous disposons désormais d’un grand volume de données qui nous fournit de précieuses indications. Par exemple, quand, et à quelle fréquence, les biopsies doivent-elles être pratiquées sur les animaux ? Les tests montrent qu’un prélèvement tous les deux mois donne les meilleurs résultats. Quel est le score de durabilité ? Quelles sont les races et les lignées qui donnent les meilleurs résultats ? Faut-il ou non recourir au croisement ? Comment les cellules se comportent-elles dans les installations ? Serait-il plus bénéfique de pratiquer des biopsies dans la nature ?

Dans ma ferme, je pourrais produire 150 tonnes de viande à partir d’animaux vivants. En ne faisant de biopsies que pendant les premières années de croissance, 35 bovins suffiraient pour approvisionner toute la région d’Eindhoven en viande de bœuf, soit une population de 250 000 personnes. Aux Pays-Bas, la consommation de viande s’élevait à 75,0 kg par habitant en 2022. Pour chaque biopsie pratiquée, ce sont 45 bovins limousins de moins à abattre. Et si vous travaillez avec des Highlander écossais, vous pouvez facilement multiplier ce chiffre par trois.

Leon Moonen et la viande cultivée : une histoire de ferme innovante

GAIA : Si votre projet aboutit, vous deviendrez le premier éleveur de viande cultivée au monde. Qu’en pensent vos collègues ?

Leon Moonen :  De nombreux collègues pensent qu’ils seront bientôt obsolètes. Mais pour produire de la viande cultivée, il faudra toujours des animaux et des protéines végétales. Et donc des agriculteurs ! 

J’espère que mon histoire inspirera d’autres agriculteurs. Mon travail est aujourd’hui plus diversifié que jamais. Je travaille sur le terrain en harmonie avec la nature et les animaux, et je combine la recherche scientifique innovante au développement de nouveaux modèles économiques. 

Nombre de mes clients sont des chefs renommés. Ils souhaitent pouvoir goûter eux-mêmes la viande cultivée et l'incorporer dans leurs propres plats. Le bien-être des animaux est important pour eux. 

Dans ma ferme, je peux montrer que la viande cultivée ne relève pas de la science-fiction, et qu’elle provient bien de vraies vaches. Un jour, je conduirai mes clients jusque dans la forêt de Vressel pour observer les vaches, et je leur montrerai que telle vache est à l’origine de tel morceau de viande. Il est crucial de souligner ce lien. 

cultivatedmeat

Le 7 février 2024 à Bruxelles, le livre Cultivated Meat to Secure Our Future, écrit par Michel Vandenbosch, président de GAIA, et Philip Lymbery, directeur général de Compassion in World Farming, sera présenté au public par ses auteurs. Ce livre comprend les contributions inspirantes de plusieurs experts.

Le livre est chaudement recommandé, entre autres, par Jane Goodall, ambassadrice de la paix de renommée mondiale pour les Nations unies, et par Peter Singer, éthicien animalier particulièrement influent.

Comment la viande cultivée peut-elle contribuer à un système alimentaire plus sain et plus durable, avec une plus grande biodiversité et, surtout, moins de souffrance animale ? L'avenir de la viande, c'est la viande cultivée sans abattage. 

Un avenir meilleur pour les hommes, les animaux et notre planète. Vous pouvez lire les raisons de ce choix dans le fascinant Cultivated Meat to Secure Our Future (La viande cultivée pour assurer notre avenir). Vous pouvez d'ores et déjà vous abonner via notre boutique en ligne et réserver un exemplaire contenant un message spécial de Michel Vandenbosch : www.gaia.be/store.