Vers une viande sans souffrance : l’Europe en débat

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vache viande du futur

À Bruxelles, le débat sur la viande cultivée s’installe au cœur des discussions européennes. Lors d’un webinaire organisé par The Brussels Times en collaboration avec GAIA, plusieurs députés européens, scientifiques et entrepreneurs ont échangé sur les perspectives économiques, environnementales et éthiques de cette technologie. Plus de 200 000 spectateurs ont suivi en direct cette rencontre depuis le Parlement européen, témoignant de l’intérêt croissant pour ce sujet à la croisée de la science, de l’agriculture et de la politique.

 

Une technologie en pleine émergence

La viande cultivée, aussi appelée viande de culture cellulaire, est produite à partir de cellules animales cultivées dans un milieu nutritif sans qu’il soit nécessaire d’élever ni d’abattre des animaux. Ce concept, longtemps cantonné à la recherche, est désormais une réalité industrielle. La société néerlandaise Mosa Meat a été la première à présenter un hamburger cultivé en 2013. Son directeur scientifique, Mark Post, a expliqué que cette innovation consiste à reproduire en laboratoire les mêmes cellules musculaires que celles d’un animal vivant, ouvrant la voie à une production de viande sans souffrance animale ni abattage.

D’autres entreprises comme Fishway, active dans la production de poisson cultivé, développent des procédés similaires pour éviter les polluants présents dans les produits marins. Ces initiatives traduisent une volonté croissante d’intégrer des alternatives plus sûres et durables dans la chaîne alimentaire.

Une alternative à l’élevage conventionnel

Les intervenants ont souligné que la viande cultivée émerge dans un contexte où l’élevage conventionnel est de plus en plus contesté et occasionne de graves atteintes au bien-être animal. Ils ont insisté sur la nécessité de transformer en profondeur le système alimentaire européen pour réduire son empreinte écologique et renforcer sa durabilité.

L’eurodéputée Tilly Metz (Verts/ALE) a présenté la viande cultivée comme une option crédible pour produire de la viande plus respectueuse de l’environnement. Le député Niels Fuglsang (S&D) a dénoncé le déséquilibre des subventions agricoles, majoritairement orientées vers l’élevage conventionnel, et plaidé pour une réorientation des aides afin d’accompagner la transition vers des modèles plus durables.

Un potentiel économique considérable

Sur le plan économique, les intervenants ont mis en garde contre le risque pour l’Europe de perdre sa position de pionnière face à des régions plus dynamiques. Ira van Eelen, présidente du réseau CellAg Netherlands, a rappelé que la recherche sur la viande cultivée est née en Europe, mais que la lenteur réglementaire menace son avance. Elle a appelé à une approche plus proactive et à une meilleure implication des agriculteurs.

L’éleveur néerlandais Ruud Zanders, cofondateur de Respect Farms, a illustré cette vision : les agriculteurs pourraient continuer à produire de la viande, mais selon des méthodes nouvelles et durables. Son projet, soutenu par EIT Food, vise à construire la première ferme de viande cultivée au monde. Selon ses estimations, cette approche permettrait jusqu’à 95 % d’économies de terres et 78 % de réduction de la consommation d’eau par rapport à l’élevage traditionnel.

Une opinion publique en évolution

La question de l’acceptation sociale a également occupé une place importante. Les avantages de la viande et du poisson cultivés sont à la fois environnementaux et éthiques.

Une étude récente montre qu’une large majorité de Belges, notamment parmi les jeunes générations, attachent une grande importance au bien-être animal et voient dans les protéines cultivées une solution prometteuse pour relever les défis alimentaires et environnementaux de demain. Selon une enquête Ipsos réalisée en 2024, près de sept Belges sur dix se déclarent favorables à la promotion de la viande cultivée — un soutien particulièrement marqué au sein des populations urbaines et chez les plus jeunes.

Les résultats des enquêtes Ipsos 2024 confirment cette évolution des mentalités : environ 85 % des Belges considèrent le bien-être animal comme une valeur fondamentale, près de 7 sur 10 soutiennent la promotion de la viande cultivée en tant que mesure de politique européenne, et entre 18 et 26 % des électeurs affirment qu’ils changeraient de parti politique si celui-ci ne défendait pas des politiques plus ambitieuses en matière de protection animale.

Ces chiffres traduisent un changement profond des mentalités et témoignent d’une attente croissante du public en faveur de politiques cohérentes et progressistes pour le bien-être animal. Les organisations de défense animale, dont Eurogroup for Animals et GAIA, voient dans cette technologie un moyen de réduire la souffrance animale et de garantir une transition équitable pour les agriculteurs confrontés aux limites du modèle intensif actuel.

Des obstacles réglementaires et culturels

Malgré les avancées technologiques, la viande cultivée reste encadrée par la législation européenne sur les « nouveaux aliments ». Seules deux demandes d’autorisation ont été déposées auprès de l’EFSA, alors que Singapour et les États-Unis ont déjà approuvé la commercialisation de poulet cultivé. Plusieurs participants ont jugé la lenteur du processus européen préoccupante pour l’innovation et l’investissement.

Le débat est aussi culturel. Le Parlement européen a récemment réservé les termes « steak », « burger » ou « saucisse » aux produits issus d’animaux abattus, excluant ainsi les alternatives végétales ou cultivées. Cette décision, perçue comme un frein à la transparence et à la modernisation du secteur, illustre la l’obstination de certaines filières traditionnelles à refuser toute évolution...

Un avenir à définir

Le webinaire s’est conclu sur un consensus : la viande cultivée ne résoudra pas seule les défis alimentaires et climatiques, mais elle constitue un levier essentiel et une composante essentielle d’un système en mutation. Son développement pourrait contribuer à réduire fortement les émissions, freiner la déforestation et à améliorer considérablement le bien-être animal.

Les participants ont appelé à une stratégie européenne claire, alliant innovation, accompagnement des agriculteurs et information des consommateurs. L’Union européenne a désormais le choix entre subir cette révolution alimentaire ou la guider selon ses valeurs : durabilité, compassion et souveraineté alimentaire.